Le recours à une expertise pour risque grave a toujours été source de contentieux. En témoigne la production pléthorique de jurisprudence sur le sujet. Mais ce contentieux s’est accru à la faveur et au gré des réécritures des textes régissant le droit de l’expertise qui facilitent et élargissent les possibilités de contestation. Comment y faire face ? Notamment en sécurisant la rédaction des délibérations à travers une méthodologie adéquate.
Point de remède efficace sans connaissance du mal à traiter. Limiter les risques de contestation de ces expertises impose d’en identifier les causes et les origines. En outre, une meilleure connaissance de la règle permet de contribuer à circonscrire les risques de contestation.
Les causes du contentieux
Les élus du CSE doivent avoir à l’esprit que le risque de contentieux ne peut qu’être limité et malheureusement pas éliminé dès lors que la loi offre à l’employeur un droit de contestation de l’expertise sur plusieurs fondements (C. trav., art. L. 2315-86).
Les causes en sont multifactorielles, mais à l’origine de la plupart des contestations, se trouve une délibération du CSE prêtant le flanc (à tort ou à raison) à la critique, soit sur la forme, soit sur le fond, voire sur les deux.
La forme : une délibération mal rédigée, imprécise, trop succincte, trop générale, suffira souvent à motiver une contestation pouvant aboutir à son annulation par le juge.
Le fond : la carence rédactionnelle de la délibération peut laisser supposer (à tort ou à raison) que les conditions légales (fixées par C. trav., art. L. 2315-94) permettant de recourir valablement à l’expertise ne sont pas satisfaites (le risque grave allégué n’existe pas, n’est pas identifié ou encore n’est pas d’actualité).
(Mieux) comprendre la règle
La délibération du CSE ne peut espérer être accueillie et aboutir sans une bonne compréhension des règles de recours à l’expertise qu’il souhaite engager.
Avant d’entamer toute démarche de désignation d’un expert, les élus doivent avoir à l’esprit les conditions fixées par la loi pour valider une expertise. L’article L. 2315-94 du Code du travail énumère les conditions suivantes :
- l’existence d’un risque grave (révélé ou non par un accident du travail) ;
- l’existence d’un risque grave dans l’établissement ;
- un risque identifié ;
- un risque actuel ;
Il s’agit de conditions cumulatives qui doivent toutes être satisfaites à défaut de quoi la délibération et le recours à l’expertise s’exposeront à la contestation puis à l’annulation par le juge.
C’est au CSE seul de démontrer que ces quatre conditions sont réunies et en cas de contentieux il lui faudra soutenir cette démonstration devant le juge.
Très logiquement, ces conditions doivent être mises en évidence, c’est-à-dire, exposées et développées dans le corps de la délibération.
Mise en pratique
Les causes du contentieux et les règles ainsi comprises pourront permettre aux CSE d’éviter les chausse-trappes. Reste alors à s’atteler à l’exercice périlleux de la rédaction de la délibération. Quelques recommandations ne seront pas de trop ni superflues !
1ère recommandation : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point »
La délibération n’est pas la 1ère étape du processus de recours à l’expertise mais la dernière, c’est-à-dire celle qui formalise et synthétise l’ensemble des investigations, éléments, constats et indices collectés sur une période donnée démontrant l’existence du risque grave et la nécessité de recourir à l’expertise.
Autrement dit, le recours à l’expertise et l’élaboration de la délibération ne s’improvisent pas et ne se décident pas la veille de la réunion au cours de laquelle le CSE doit mettre sa décision au vote.
Les élus du CSE veilleront donc à ne pas rédiger la délibération ni recourir à une expertise dans la précipitation, sur un coup de tête ou à la faveur d’un incident ou évènement ponctuel aussi sérieux soit-il.
Le processus adéquat et recommandé en vue de recourir à l’expertise comprend plusieurs étapes et peut adopter le cheminement suivant:
- le constat par les élus d’une situation persistante de dégradation, soit des conditions de travail, soit de la santé (physique ou mentale) soit de la sécurité, soit des deux ou des trois.
- la collecte d’éléments concrets et précis permettant à la fois de matérialiser et objectiver ce(s) constat(s) ainsi que de caractériser cette (ces) situation(s) (voir ci-dessous) ;
- la saisine des acteurs internes et externes (commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), inspection du travail, médecine du travail, Carsat) et le déclenchement des procédures internes (enquête CSSCT, droit d’alerte)
- porter cette (ces) situation(s) à la connaissance de l’employeur (notamment au cours de réunions CSE/CSSCT) et l’interpeller sur les mesures qu’il envisage de déployer pour la (les) faire cesser ;
- constater la persistance de la situation soit à travers l’inertie de l’employeur ou l’inefficacité des mesures prises par lui ;
- enfin : inscrire à l’ordre du jour d’une réunion du CSE le vote d’une délibération pour recourir à une expertise ;
2ème recommandation : la rédaction de la délibération est une affaire de méthode
Mieux sera rédigée la délibération, moins l’employeur sera tenté de la contester. S’il la conteste tout de même par principe ou par hostilité, elle s’exposera d’autant moins à l’annulation par le juge.
La délibération doit exposer et développer les éléments suivants :
- les conditions énumérées par l’article L. 2315-94 du Code du travail :
- l’identification du risque grave : dégradation des conditions de travail, hausse des accidents du travail et/ou des arrêts maladies, hausse du turnover, hausse de la charge de travail, risques psychosociaux, souffrance au travail, etc…
- l’actualité du risque grave : le risque doit grave doit reposer sur des éléments contemporains et toujours existants et persistants à la date du vote de la délibération. Il faut donc éviter de se référer à des éléments trop anciens ou ayant disparu à la date du vote de la délibération.
- des éléments concrets, précis, étayés, objectifs et corrélés entre eux :
- sont à proscrire les considérations hypothétiques, d’ordre général ou les impressions telles que par exemple « le sentiment de mal-être ou de souffrance »
- sont à privilégier les données objectives tels que :
- les indicateurs internes et chiffrés de l’entreprise (taux d’absentéisme, taux d’accidentologie, taux de turnover, charge de travail, cadence, productivité, objectifs….) ;
- les données tirées du document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), du programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail (PAPRIPACT), du bilan social, du rapport annuel du médecin du travail, de différents registres (danger grave, accidents bénins, etc.) ;
- l’objectif, le périmètre et l’entendue de la mission.
La délibération doit être construite et organisée en plusieurs parties :
- 1ère partie : rappel du contexte et de la chronologie des conditions de travail et de leur dégradation ;
- 2ème partie : énumération des éléments et indices constatés et caractérisant le risque grave ;
- 3ème partie : rappel des démarches entreprises par le CSE et/ou la CSCCT pour alerter l’employeur et l’inviter à prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser le risque grave ;
- 4ème partie : constat de l’absence de mesures par l’employeur ou de leur inefficacité et de la persistance du risque grave ;
- 5ème partie : indication de l’objectif, du périmètre et de l’étendue de l’expertise ;
- 6ème partie : vote du recours à l’expertise et désignation de l’expert ;
Dernière recommandation : le moment adéquat pour voter la délibération
La décision de recourir à une expertise pour risque grave est un acte solennel et important qui doit mobiliser la concentration et l’énergie des élus. C’est un signal d’alerte très fort qui est envoyé par le CSE à l’employeur.
Les élus auront à lire mais surtout à soutenir leur délibération devant la direction qui ne manquera pas de solliciter des explications sur la nécessité et/ou le bien-fondé du recours à l’expertise souvent mal (com)pris. Cette décision donnera souvent lieu à un long (et nécessaire) débat.
Il faut donc éviter d’être parasité par d’autres sujets. C’est pourquoi, il est souhaitable que cette délibération fasse l’objet d’une réunion extraordinaire dont elle sera l’unique point de l’ordre du jour.
Source : Les Cahiers Lamy du CSE – N°237 01/06/2023. Lamy Liaisons
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