Depuis 2017, le principe légal (C. trav., art L. 2316-20) suivant lequel le CSEE (comité social et économique d’établissement) a les mêmes attributions que le CSEC (comité social et économique central) dans la limite des pouvoirs du chef d’établissement a été battu en brèche. La jurisprudence qui concédait depuis 2012 aux comités d’éta- blissements, puis aux CSEE, un droit autonome de recourir à l’expert-comptable a été mise à la porte manu militari. Aujourd’hui, primauté est donnée au CSEC en matière de consultation et d’expertise laissant une place résiduelle au CSEE, sauf meilleur ac- cord. C’est dans ce cadre que la Cour de cassation apporte un éclairage intéressant.
Cass. soc., 16 févr. 2022, n° 20-20.373
Le CSEE (CSE d’établissement) d’une société de logistique mandatait un expert-comptable pour analyser la politique sociale de l’établis- sement. La direction contestait la régularité et la validité de cette délibération devant le tribunal en faisant valoir qu’en l’absence de mesures d’adaptation de la politique sociale d’entreprise spécifiques à l’établissement le CSEE ne pouvait prétendre ni à être consulté ni à recourir à l’assistance d’un expert comptable. Le CSEE démontrait l’existence d’une politique sociale propre à l’établissement ainsi que des mesures d’adaptation spécifiques. Le tribunal, convaincu par la démonstration du CSEE, reje- tait la demande d’annulation de la délibération et donc de l’expertise. La direction saisissait la Cour de cassation et invoquait 2 arguments : le recours à l’expertise n’est pas possible en dehors du processus de consultation sur la politique sociale et le CSEE ne justifie pas de
l’existence de mesures d’adaptation de la po- litique sociale d’entreprise spécifiques à l’éta- blissement.
Le CSEE peut-il valablement désigner un expert hors du processus de consultation sur la politique sociale ?
La question n’est pas dénuée d’intérêt ni de pertinence. Elle a déjà été portée et soutenue devant les tribunaux. Elle puise son fondement et sa substance dans les termes de la loi. Les articles L. 2315-87, L. 2315-88 et L. 2315-91du Code du travail – tous rédigés en termes identiques – précisent que « Le comité social et économique peut décider de recourir à un ex- pert-comptable en vue de la consultation sur » la politique sociale, les orientations stratégiques et la situation économique et financière de l’entreprise. À la faveur de la ré- écriture de ces textes sous l’empire des Ordonnances Macron, une interprétation était permise : celle du terme « en vue de la consultation » dont il pouvait s’évincer que l’expertise est indissociable du processus de consultation auquel elle se rat- tache. S’en nourrissant volontiers, les employeurs initiaient les premiers contentieux pour contester les expertises diligentées par les CSE sans les intégrer dans le cadre des consultations récurrentes. Cette position a fait florès. Séduites par cette lec- ture des textes, les juridictions du fond validaient le caractère indissociable de la consultation et de l’expertise qui s’y rat- tache, et partant, annulaient les délibérations diligentant des expertises hors de toute consultation (CA Grenoble, ch. soc., sect. A, 16 oct. 2018, n° 17/04368 ; CA Rouen, ch. soc., 20 juin 2018, n° 17/05352).
Quant à la Cour de cassation, elle semblait déjà s’incliner vers cette même position. Elle avait, en effet, déjà décidé que le droit pour le comité d’entreprise de procéder à l’examen an- nuel des comptes et de se faire assister d’un expert-comptable dont la rémunération est à la charge de l’employeur s’exerce au moment où les comptes lui sont transmis (Cass. soc., 18 déc. 2007, n° 06-17.389). Elle confirmait cette position en 2018 en précisant que dès lors que la désignation de l’expert est intervenue avant la réunion de présentation et de trans- mission des comptes, la rémunération de l’expert doit rester à la charge du comité d’entreprise. Ainsi l’expertise devait s’ins- crire dans le cadre spécifique de la présentation des comptes annuels au CE – certes différent de celui des consultations ré- currentes – sous peine d’être considérée comme une expertise libre (Cass. soc., 28 mars 2018, n° 16-12.707).
Dans sa décision du 16 février 2022, la Haute juridiction contre- braque et semble annoncer un changement de cap. Elle rejette le pourvoi formé par la direction de l’entreprise. La circons- tance que le recours à l’expertise ait été décidé hors du proces- sus de consultation sur la politique sociale n’est plus un motif d’annulation de la délibération et donc de l’expertise. La Cour de cassation retient, au contraire, que l’existence de mesures d’adaptation de la politique sociale de l’entreprise spécifiques à l’établissement justifie en soi un droit à consultation et donc à expertise. L’expertise ne serait donc plus nécessairement subordonnée à l’engagement préalable du processus de consultation mais simplement à la seule démonstration de l’existence de mesures d’adaptation spécifiques. Ainsi est substitué au critère de l’engagement effectif du processus de consultation, celui de la démonstration du droit à consulta- tion ouvrant celui à expertise.
Que faut-il entendre par « mesures d’adaptation spécifiques » dans le cadre de la consultation sur la politique sociale ?
C’est la deuxième précision apportée par la Cour de cassation. Elle était bienvenue ! L’article L. 2316-20 du Code du travail précise que le CSEE est consulté sur les mesures d’adaptation des décisions arrêtées au niveau de l’entreprise spécifiques à l’établissement et qui relèvent de la compétence du chef de cet établissement. Et l’article L. 2312-22 reprend cette règle d’articulation des niveaux de consultation dans le cadre de la politique sociale. La combinaison de ces textes fait (hélas) clairement ressortir que les attributions consultatives sont verrouillées au niveau central et laisse au CSEE un espace de compétence réduit au seul périmètre de la politique sociale (sauf accord en disposant autrement). Et même sur ce péri- mètre, la possibilité d’être consulté au niveau local est limi- tée aux seules mesures d’adaptation de la politique sociale d’entreprise spécifiques à l’établissement dont il appartient au CSEE de démontrer l’existence. Autrement dit, le CSEE ne peut être consulté sur la politique sociale qu’à condition qu’il fasse la démonstration de l’existence d’une politique sociale spécifique et propre à l’établissement.
La question se pose alors sur ce qu’il faut entendre concrè- tement par « mesures d’adaptation spécifiques à l’établisse- ment » en matière de politique sociale ? Hormis la définition par l’article L. 2312-26 du Code du travail du périmètre de la politique sociale, la loi est muette sur la question. Et la juris- prudence n’est pas très diserte non plus sur ce sujet. Dans cette affaire, le CSEE s’appuyait sur la liste des thèmes défi- nis par l’article L. 2312-26 du Code du travail comme relevant du champ de la politique sociale et s’est attaché à démontrer que nombre d’entre eux étaient traités de manière autonome et spécifique au niveau de l’établissement. Cette méthodo- logie s’est avérée pertinente puisque le tribunal, pleinement approuvé par la Cour de cassation (qui vise d’ailleurs expres- sément l’article L. 2312-26) a pu ainsi retenir à travers une analyse casuistique et pragmatique que caractérisaient des mesures d’adaptation spécifiques à l’établissement :
- la consultation du CSEE sur l’ordre des départs en congés des salariés de l’établissement ;
- la consultation du CSEE sur le plan de formation des sala- riés de l’établissement ;
- la négociation avec les délégués syndicaux d’établissement d’un avenant relatif à l’intéressement spécifique à l’établis- sement ;
- la mise en place d’un groupe de travail local sur une prime exceptionnel au niveau de l’établissement.
Ce qu’il faut retenir de cette décision
Il n’est désormais plus nécessaire d’attendre le lancement
– souvent à l’initiative de l’employeur – de la procédure de consultation sur la politique sociale pour désigner un expert. Les CSEE désireux de pouvoir exercer valablement leur droit de consultation sur la politique sociale et de désigner un ex- pert seront bien inspirés de vérifier que sont traités, au niveau de l’établissement, de manière autonome et différenciée, les thèmes listés par l’article L. 2312-26 du Code du travail et ci-dessus définis.
Source : Les Cahiers Lamy du CSE – N°232 01/01/2023. Lamy Liaisons
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