« Un acte d’intimidation » : Monoprix veut faire condamner des salariés contestataires par la justice

Cabinet Mobour

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Le tribunal judiciaire de Paris tranchera ce jeudi 3 décembre dans l’affaire qui oppose Monoprix à 18 de ses salariés, poursuivis pour avoir organisé un rassemblement devant un magasin en septembre. Tandis qu’une deuxième procédure a d’ores et déjà été lancée par l’enseigne, pour une autre action ayant eu lieu en octobre.

Tant pis pour le « dialogue social ». Le tribunal judiciaire de Paris rendra ce jeudi 3 décembre sa décision sur les poursuites engagées par Monoprix contre 18 de ses salariés, qui avaient organisé un rassemblement devant un magasin de l’enseigne en septembre. Visant notamment à contester les conditions de la « prime Covid » versée après le premier confinement, la manifestation aurait entravé illégalement le fonctionnement du supermarché selon l’entreprise. Tandis que des représentants de la CGT dénoncent une tentative de réduire au silence la contestation, qui avait vu une série de rassemblements dans des boutiques d’Île-de-France ces derniers mois.

Le manifestation visée par Monoprix s’est tenue le 12 septembre dernier, dans un quartier résidentiel du XVe arrondissement de Paris. Comme le montrent des vidéos diffusées en direct sur Facebook, une vingtaine de salariés se sont regroupés sur le trottoir bordant le magasin de la rue de la Convention à partir de 11h, à l’appel d’élus CGT. La plupart portent le gilet rouge du syndicat, ou un T-shirt de la même couleur estampillé « Collectif CGT Île-de-France« . Une enceinte diffuse de la musique et des discours improvisés, qui dénoncent tour à tour la politique salariale de l’entreprise. Certains manifestants tendent des tracts à des passants, ainsi qu’à des clients qui entrent et sortent du magasin. Vers 11h30, les protestataires font mine de vouloir y rentrer, mais leur passage est bloqué par une vingtaine de vigiles, bientôt rejoints par cinq policiers nationaux. Les images montrent ensuite la petite foule se regrouper juste devant l’entrée, dos au magasin, puis s’écarter vers l’autre bout du trottoir vingt minutes plus tard.

LA PRIME DE LA DISCORDE

Plusieurs manifestants brandissent une banderole sur laquelle est dessiné un chèque au nom de Jean-Charles Naouri, le PDG de la maison-mère Casino, et adressé aux « salariés de Monoprix« . Son montant, 1.000 euros, fait référence à la « prime Covid » versée après le prermier confinement. Le 20 mars, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire avait invité les entreprises à octroyer un bonus défiscalisé à leurs employés « qui ont le courage de se rendre sur leur lieu de travail« , dans le cadre de la « prime Macron » créée fin 2018. Le tout pour un montant maximum de 1.000 euros, porté début avril à 2.000 euros en présence d’un accord d’intéressement, comme c’est le cas pour Monoprix. Si le distributeur a suivi la suggestion ministérielle, il n’est pas monté aussi haut que le permettait la loi : annoncée mi-avril, la prime atteindra au maximum 1.000 euros, et sera modulée selon le nombre d’heures travaillées. Autrement dit, seuls les employés présents à temps plein pendant tout le confinement percevront ce montant.

 

« Finalement, moins de 30% des salariés ont touché les 1.000 euros« , avance auprès de Marianne Ali Amazoz, représentant syndical CGT de Monoprix à Puteaux. « Alors que l’on a travaillé dur pendant la période, qu’à côté de nous des gens se battaient pour des paquets de farine« , enchaîne Alain Tsamas, animateur du collectif CGT Monoprix Île-de-France. Les deux représentants font partie des salariés assignés. Cerise sur le scandale : « Après avoir défini ces conditions honteuses, notre PDG a lui-même reçu une prime de 655.000 euros« , s’insurge Ali Amazoz. Les actionnaires du groupe Casino ont en effet octroyé ce montant à Jean-Charles Naouri en juin, sous la forme d’une « rémunération complémentaire » récompensant la conduite « [d’]opérations stratégiques » en 2019.

De cette indignation sont nés les « samedis de la révolte« , une série de rassemblements devant des magasins Monoprix lancée par des élus CGT début juin. La mobilisation du 12 septembre en était le huitième épisode : « Nous avons toujours organisé ça en transparence, en annonçant le lieu du rassemblement sur Facebook, relate Ali Amazoz. Nous n’avons jamais adhéré au mode opératoire du blocage. Nous faisons des prises de parole à l’extérieur et à l’intérieur des magasins, pour sensibiliser les clients et nos collègues. Mais cette fois-ci, nous avons été accueillis par des vigiles« .

« ATTEINTE À LA LIBERTÉ DU COMMERCE »

Quelques jours plus tard, Monoprix envoie une assignation en justice à 18 salariés identifiés devant le magasin de Convention. Dans ce document, que Marianne a pu consulter, l’entreprise affirme que les manifestants ont « porté atteinte à la liberté du travail et à la liberté du commerce et de l’industrie« , causant ainsi un « trouble manifestement illicite« . Cette assertion est appuyée par les observations d’huissiers de justice, qui avaient été dépêchés sur place : « [Ils] ont constaté que ce groupe de manifestants a tenté, à plusieurs reprises (…) d’entrer dans le magasin de force« , n’étant empêchés « qu’en raison de la présence de 20 agents de sécurité« , est-il indiqué. Tandis que « les clients qui souhaitaient se rendre dans ce magasin pour faire leurs courses ont été empêchés [d’y] accéder (…) ou gênés dans leurs achats« , ajoute le texte.

En conséquence, la société demande au juge des référés d’enjoindre ses salariés à ne pas réitérer « des agissements constitutifs d’une entrave » à un magasin Monoprix. Et de prévoir « une astreinte de 1.000 euros par personne et par infraction« , que les employés devraient  régler en cas de récidive. Autre requête : que les manifestants compensent ensemble le « préjudice » subi en versant ensemble à Monoprix une somme de 7.953 euros, qui correspondrait à la perte de chiffre d’affaires du magasin et au coût des agents de sécurité mobilisés le 12 septembre.

Cette lecture des faits a été contestée par les deux avocats des salariés lors de l’audience, qui s’est tenue le 26 novembre. « Pour que les employés soient tenus responsables, il faudrait que le préjudice leur soit directement imputé. Or, ce ne sont pas eux qui ont généré le blocage, mais le fait que des vigiles soient placés dans l’entrée. Cela n’aurait pas eu lieu si les manifestants avaient pu entrer et sortir, comme cela s’était déjà passé à plusieurs reprises « , défend auprès de Marianne Me. Mounir Bourhaba. Qui conteste aussi la chronologie décrite par Monoprix, dont l’assignation affirme que l’entrave a « duré près de quatre heures » : « Si l’on prend les moments où les salariés tentent d’entrer dans le magasin, cela ne dure pas plus de quinze minutes« , argue-t-il. Mais l’occupation du trottoir n’est-elle pas en elle-même de nature à faire fuir des clients ? « Tout mouvement renferme une gêne liée à son expression. Mais pour qu’il soit abusif, il faut qu’il ait des conséquences paralysantes« , soulève l’avocat.

UNE AUTRE PROCÉDURE ENGAGÉE

Pourquoi Monoprix a-t-elle attendu le 12 septembre pour réagir, alors que des  rassemblements avaient cours depuis plusieurs mois ? Dans un communiqué transmis à Marianne, l’entreprise fait valoir que les premières manifestations n’avaient pas « donné lieu à des assignations, puisqu’elles s’étaient déroulées dans le calme, sans entrave, et dans le respect de la liberté du commerce et du travail« . Sans préciser en quoi l’appel à manifester lancé par les élus CGT différait des précédentes éditions, et aurait justifié de recourir à des vigiles. De son côté, Mounir Bourhaba avance une autre explication : « Quelques jours avant la manifestation de Convention, les salariés du collectif ont trouvé une occasion en or de porter leur message lors de l’inauguration d’un nouveau Monoprix à Montparnasse, où étaient présents des médias et des dirigeants du groupe Casino. Leur intervention n’a pas plu à la direction, qui a lancé cet acte d’intimidation pour briser la dynamique« , avance l’avocat.

Alors que le tribunal rendra sa décision ce jeudi, Monoprix a d’ores et déjà engagé une autre procédure contre ses salariés contestataires. « Suite à des débordements lors du rassemblement qui s’est tenu au magasin de La Fourche début octobre, nous avons décidé d’assigner un certain nombre de personnes« , indique l’entreprise à Marianne. Ali Amazoz en fait à nouveau partie : « Cette fois-ci, nous sommes rentrés incognito dans le magasin, avant d’en faire le tour en sortant les gilets et le mégaphone. Cela correspond à notre mode opératoire classique, sans que nous ayons bloqué à aucun moment. Mais nous sommes tout de même 14 à avoir été assignés par Monoprix« . Selon l’élu CGT, l’audience de cette affaire doit se tenir début janvier. « Ils veulent nous faire taire, pointe-t-il. Les salariés commençaient à se regrouper, alors ils ont tapé fort« .

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